« Auteur Haut-Parleur » … qu’est-ce que c’est ?

Le travail d’un auteur est bien sûr d’écrire chez lui, dans une sorte de retraite propice à l’inspiration. Il doit normalement être en capacité de visualiser le monde ou une partie sans pour autant en partager les particularités. C’est sans doute ce qui s’appelle l’imagination, l’inspiration, une certaine vision en tout cas, à partir de sa propre expérience, de ce qui l’entoure et avec l’aide des médias, des réseaux sociaux qui aujourd’hui rendent l’horizon infiniment plus proche. Il y a beaucoup de beaux textes et de bons livres écrits sans bouger de sa chaise, liés à l’immobilité et prenant du recul.

Un autre aspect du travail de l’écrivain est de sortir dans la rue et d’aller voir ses voisins. Des gens ordinaires souvent, avec la fascinante particularité d’être vivants et donc uniques. Toutes les existences se valent et chacune d’entre elles forcément une aventure puisqu’elle est inédite. Il suffit d’en prendre la mesure.

L’écriture, et peut-être l’art en général, consiste à révéler ce qui en apparence ne ressemble à rien d’autre qu’à la vie ordinaire, pourtant immensément riche en événements, en tensions. Le tragique humain est inscrit dans la façon dont chacun est amené à trouver sa propre navigation dans le majestueux mouvement du temps, des civilisations, et plus loin, bien plus loin, dans celui du cosmos.

Croiser quelqu’un dans la rue c’est imaginer qu’il a déjà un but (même s’il n’en a pas). Tout le monde va quelque part, mais surtout résolument vers la mort, et en attendant cet instant unique, la beauté de l’imagination humaine nous est révélée dans le choix que chacun emploie pour déjouer la fatalité, remplissant chaque instant, chaque journée d’une somme de talents divers, avec plus ou moins de réussite, d’emphase ou de discrétion. Celui qui marche dans la rue continue d’être le héros de celui qui le regarde.

Écrire c’est aussi donner la parole aux autres, ceux qui ne l’ont pas ou ne s’autorisent pas à l’avoir. Et comme on ne peut pas tout inventer sur sa chaise, il n’est pas sot de s’alimenter à la source que sont nos voisins souvent silencieux. Et faire le haut-parleur.

Principales phases de cette action :

– prise de contact, échanges et collectage de paroles

– écriture

– publication – trace de l’écriture

– mise en voix par une équipe de comédien-nes, musicien-nes professionnel-les à laquelle peuvent s’adjoindre, le cas échéant, des amateurs.

« Il y avait tous ces témoignages, comme de la nourriture, une bonne pile, une épaisseur d’histoires vivantes et vibrantes, des femmes, des hommes, leurs enfants, devenus grands, ceux d’après, tous occupés à l’incroyable et très ordinaire exercice de vivre : manger, dormir, bosser, grandir, vieillir…et il fallait quelquefois éloigner ce feu là des yeux, laisser la lecture pour un moment, à cause de la douleur, souvent, qui circulait.
Ensuite écrire. Avec toutes les permissions possibles. Alors mettre toutes ces vies de côté, oublier les particularités, les détails, ou même les circonstances, et garder la palpitation pour en faire du théâtre, une autre histoire celle-là, souvent large de beaucoup d’autres. Et comme des gens ici avaient offert leur mémoire, il m’a semblé que la liberté de l’écriture, tout en gardant son univers propre, passait avant tout par la fidélité à la parole. Emmener le monde ailleurs et le laisser chez lui, quelque chose comme ça. Trouver la mer entre deux pays… »

Jean Cagnard à propos de l’écriture de « La tête des hommes magnifiques » pour la compagnie Action Comédia

« L’image que l’on se fait des gens est souvent fausse. On ne devrait pas l’oublier. La peur de ce qu’on ne connaît pas, de l’étranger, du mystère, est toujours vivace. Les toxicomanes ont en plus pour eux de déformer les frontières de la vie. Ils ne vivent pas autrement, comme on peut le dire d’une civilisation étrangère, ils explosent notre gentil périmètre citoyen pour essayer de l’ajuster à leur épreuve. C’est de la couture, un peu à la hache certes (quand ça ne manque pourtant pas d’aiguilles). Ils sont au-delà. Ils inventent. Et il y a du vertige à leur porte et notre perte d’équilibre n’est jamais très loin. Des gens dont les oeuvres sont violentes et ahurissantes parce que le matériau de leur inspiration est leur propre personne.
Ça s’appelle jouer avec la mort tandis qu’il est recommandé de profiter de la vie. C’est de l’interprétation libre et inquiétante de la condition terrestre.
Et puis comme souvent derrière les apparences, c’est la machine humaine qui est en action tout simplement et bien sûr il n’y a plus rien à dire. Ce qui envoie les gens hors d’eux-mêmes est souvent la souffrance et les diables deviennent des enfants haletants. Et l’image que l’on a sous les yeux est alors exclusivement réelle, loin du fantasme. Et toute peur que l’on a pu avoir devient ridicule. »

Jean Cagnard
À propos de la résidence d’écriture au centre thérapeutique de Blannaves (Alès) avec la compagnie 1057 Roses