Galop d’essai d’écriture n°1

“Un matin apparemment comme un autre”

 

Un matin apparemment comme un autre, l’homme se réveilla, se leva et emporta sous ses pas les lames du plancher de la chambre.

Il prit son petit-déjeuner, fit sa toilette et partit pour sa journée de travail en emportant le carrelage de la maison sous ses pas.

Dans la rue, ce sont des morceaux de trottoir qui collèrent à ses chaussures, du macadam, puis les plaques de moquette de son bureau, puis encore du carrelage, des escaliers, des couloirs, du linoléum, du béton, de l’acier même.

Il traversa plusieurs massifs municipaux pour le plaisir de coller à ses semelles de la bonne terre pleine de fleurs. Il descendit jusqu’à la rivière, marcha dans l’eau, emportant des galets et des poissons avec lui.

Il traversa une école et des enfants s’ajoutèrent à l’épaisseur. Il traversa une maison de retraite et ramassa des vieux, il traversa le cimetière et repartit avec du gravier et quelques morts plus joyeux que d’autres.

Toute la journée, le sol sembla ne pas vouloir se séparer de lui si bien qu’une belle épaisseur de traces s’empilait sous ses pieds quand arriva le soir.

Au moment de se coucher il en avait tant sous les chaussures que sa tête touchait les nuages. C’est un homme qui avait grandi avec beaucoup de puissance et de fantaisie. On aurait pu le prendre pour le plus grand monument de la ville.

Alors il s’assit sur son lit et pour la première fois depuis trente-cinq ans qu’il habitait dans cette ville, il sentit qu’il était arrivé quelque part.

Jean Cagnard

Jan. 8 2013